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Dans la solitude des champs de coton regarder en ligne FULLHD

La piиce commence par un malentendu, qui ne sera pas dissipй, entre "dealer" et « client » ( dйsignation de l’auteur que le second personnage ne semble pas accepter…)

L’un (le dealer) veut croire, ou faire croire que la prйsence de l'autre dans la rue а cette heure tardive est en soi l'aveu d'un dйsir.

L’autre (qui ne veut pas passer pour un client) revendique l'ingйniositй de son trajet nocturne : la libertй de passer simplement par lа, et d'aller plus loin sans йgard а ce que d'autres peuvent proposer.

Le regard plein de sous-entendus du dealer est vйcue par le promeneur comme une souillure :" sachez que ce qui me rйpugne le plus au monde c’est le regard de celui qui vous prйsume plein de plaisirs illicites et familier d'en avoir."

C'est l'occasion de superbes mises au point sur le regard.

Page 22. " Si toutefois je l’ai fait, sachez que j'aurai dйsirй ne pas vous avoir regardй. Le regard se promиne et se pose et croit кtre en terrain neutre et libre, comme une abeille dans un champ de fleurs, comme le museau d'une vache dans l'espace clфturй d'une prairie. Mais que faire de son regard? Regarder vers le ciel me rend nostalgique et fixer le sol m’attriste…;[regarder derriиre soi n'est pas plus satisfaisant]. Alors il faut bien regarder devant soi а sa hauteur… » On finit toujours fatalement par tomber sur quelqu’un…

Lа, selon l’humeur (ou le hasard) se met en place :
-soit une logique de sйduction
-soit une logique d'intimidation…Quand ce n'est pas d'emblйe une logique de prйcaution.

LA LOGIQUE DE L’INTIMIDATION

-La logique de l'intimidation et de la force empreinte le chemin de l'analyse de l’йtat de nature selon Hobbes Le mal naоt de sa propre possibilitй. C'est la possibilitй que je sois victime d'une agression qui fait de moi par avance un agresseur, je prends les devants :

« Dans l'obscuritй il y a une rиgle qui veut qu’entre deux hommes qui se rencontrent, il faille toujours choisir d'кtre celui qui attaque le premier »

La prose poйtique de Koltиs campe magistralement l'atmosphиre trouble des rues dйsertйes par la lйgalitй, ces moments d'incertitude oщ les hommes se croisent et peuvent а tout instant se dйchaоner comme des bкtes seulement par peur, par peur de l'autre et de sa peur.

" C'est qu'il flottait de par ma prйsence et la vфtre, et par la conjonction accidentelle de nos regards, la possibilitй que vous me frappiez le premier et j'ai prйfйrй кtre la tuile qui tombe plutфt que le crвne, la clфture йlectrique plutфt que le museau de la vache." page 25

Mais dans la piиce l’affrontement reste seulement verbal. les deux hommes se tiennent а distance par la force des mots dans une dйfiance rйciproque face а l'inconnu qu’ est l'autre. Paradoxalement, et contrairement а l’analyse Hobbienne, c'est la dйfiance rйciproque qui maintient, avec la crainte, un semblant de paix. ( alors que chez Hobbes la paix entre les individus s’instaure par la mйdiation d’un tiers ( le souverain) а qui chacun a remis son pouvoir pour ne plus кtre justement une menace pour les autres).

Page30. S'il n'y avait que la stricte йvaluation des forces « le monde se diviserait trиs simplement entre les brutes et les demoiselles » (terme gйnйrique servant а dйsigner les plus faibles musculairement) mais ce qui les maintient а distance « c'est le mystиre infini et l'infinie йtrangetй des armes ». Les brutes craignent les petites bombes lacrymogиnes que portent les demoiselles et Koltиs s’йtonne de l ’ inversion symbolique par laquelle de frкles jeunes femmes se font craindre de brutes йpaisses parce qu'elles sont capables de les faire pleurer.

« …On n’inflige que les souffrances que l’on peut soi-mкme supporter. …on ne craint que les souffrances que l’on n'est pas soi-mкme capable d'infliger. »

La logique de la dйfiance a d'autres effets plus pervers: elle ruine les chances de satisfaction du dйsir. Le dйsir d'un homme est son point de vulnйrabilitй. une blessure qui suinte, il ne l’avouera pas au premier venu; non seulement par pudeur, mais parce qu'il ne veut pas voir son dйsir йtalй pour rien " comme le sang rйpandu en terre йtrangиre ".page 32

Le dealer (comme le vendeur) oblige le dйsir de l'acheteur а se nommer.

LA LOGIQUE DE LA SEDUCTION

La logique de sйduction est au cњur du commerce

il faut кtre а l’йcoute du dйsir de l'autre.Dans La solitude des champs de coton le rapport vendeur -acheteur est prйcisйment analysй:

Le vendeur et l'acheteur forment un couple au sens propre. l’un est indispensable а l'autre puisque tous deux sont traversйs par le dйsir de l'autre. Le vendeur est sensй dйtenir ce que l’acheteur dйsire. Mais le vendeur dйsire aussi. Il veut vendre et donc que l'autre achиte. Il n'y a donc aucune inйgalitй entre le demandeur et le vendeur mais il y a bien une complйmentaritй. L'acheteur ne doit pas se sentir plus dйpendant du vendeur que le vendeur ne l’est lui-mкme vis-а-vis de l'acheteur :

« il ne faut pas se sentir blessй de l’apparente injustice qu'il y a а кtre le demandeur face а celui qui propose » page 11

« La frontiиre entre le vendeur et l'acheteur est incertaine » l’un est le « creux », l'autre « la saillie avec moins d'injustices encore qu'il y a а кtre mвle ou femelle parmi les hommes et les animaux ». page12

Mais il y a un dйcalage et mкme une supйrioritй de l'acheteur sur le vendeur. Celui-lа a le pouvoir de refuser ce qu'on lui propose (mкme si c’est l'objet secret de son dйsir) ; l’acheteur peut toujours en ce sens humilier le vendeur. Koltиs, par la bouche du dealer, souligne que l'acheteur aime acquйrir mais encore plus jouir du sentiment de sa libertй en n’acquйrant pas et en refusant au vendeur le plaisir de vendre.

Le vendeur lui a concйdй patience et attention ; il a йcoutй les propos de l'acheteur, il a lu dans ses attentes, il ne s'est pas йconomisй pour le satisfaire

« le bon vendeur tвche de dire ce que l'acheteur veut entendre et pour tвcher de le deviner, il lui faut le lйcher un peu pour en connaоtre le odeur » page 47

Cette attention doit se payer et se paye effectivement quand l'atmosphиre, de lйgиre et badine, se fait йpaisse et lourde de reproche. le vendeur fait ses comptes et dйзu, devient agressif pour se payer de ses efforts infructueux. Mais ce qui s’avoue dans les interlignes, c'est que le plus douloureux est ailleurs: dans la rencontre loupйe.

" des dйsirs j'en avais, ils sont tombйs autour de vous, on les a piйtinйs .Il vous aurait suffi de vous baisser pour les ramasser mais vous les avez laissйs rouler dans le caniveau…."(page 51)

… « la seule et vraie cruautй n'est pas celle d'un homme qui en blesse un autre… la vraie et terrible cruautй est celle de l 'homme qui rend l'homme inachevй, qui l'interrompt comme des points de suspension au milieu d'une phrase, qui se dйtourne de lui aprиs l'avoir regardй, qui fait de l'homme une erreur du regard, une erreur du jugement, une erreur, comme une lettre qu'on a commencйe et qu'on froisse brutalement juste aprиs avoir йcrit la date. »(page 31)

L’homme a besoin de l'homme, du regard de l'autre et de son dйsir. Rien n'est plus douloureux que de devoir s'avouer l'йchec d'une rencontre. on avait cru кtre fait l'un pour l'autre ( un ami, un amour, un partenaire) et on s'йloigne plein de dйpit, la rancњur au ventre d'avoir йtй mйconnu, flouй par l'autre.

Au creux des pages, des trйsors pour le thиme.

Deux hommes qui se croisent n’ont pas d'autre choix que de « se frapper avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la fraternitй ».page 47 Mais la douceur des caresses est encore une arme :

1) d’abord elle dйsappointe. « Tout geste que je prends comme un coup s’achиve comme une caresse. C'est inquiйtant d'кtre caressй quand on devrait кtre battu » page39

2) elle piиge, elle force l'autre au dйvoilement, а la confidence, qui sont autant de maniиres de faire baisser la garde.

" Les souvenirs sont des armes secrиtes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dйpouillй. C'est la derniиre franchise qui oblige l’autre а se dйvoiler en retour » page 48

Ainsi la rиgle veut-elle " qu'un homme qui en rencontre un autre finisse toujours par lui taper sur l’йpaule en lui parlant de femmes. La rиgle veut que le souvenir de la femme serve de dernier recours aux combattants fatiguйs" page 45.